Confrontés à la popularité persistante de Ségolène Royal, ses adversaires dans la course à l’investiture socialiste lui ont souvent reproché, au cours des derniers mois, de manquer d’idées et de propositions. Manifestement, l’interview qu’elle a accordée aux Echos, le 19 mai dernier, visait à répondre, sur ce point, à ses détracteurs. Les propositions formulées au fil de l’entretien sont nombreuses et se veulent porteuses d’une vision globale de l’économie et de la société.
On ne peut que déplorer, dans ces conditions, que l’entretien soit parsemé de contradictions ou d’incohérences, qui rendent les convictions réelles de la responsable socialiste encore bien difficiles à cerner.
Ségolène Royal propose par exemple, et c’est bien naturel après la crise du CPE, que les réformes en matière sociale relèvent d’abord des « partenaires sociaux ». Mais, en même temps, elle se méfie du « consensus », qu’elle juge souvent synonyme de nivellement par le bas, alors qu’il s’agit du mode de prise de décision normal dans la négociation sociale.
De manière plus surprenante encore, elle s’évertue à disqualifier les organisations reconnues représentatives : le MEDEF et la CGPME ne sont ainsi pas de bons interlocuteurs, car ils ne font pas partie du "patronat éclairé". Sans doute l’Etat va-t-il créer une Organisation du patronat éclairé pour les remplacer… Ségolène Royal entend également transformer les organisations syndicales de salariés et suggère, à cette fin, de rendre obligatoire l’adhésion à un syndicat.
Ce faisant, elle ignore les décisions rendues par la Cour de Strasbourg, qui a consacré depuis longtemps, en s’appuyant sur l’article 11 de la convention européenne des droits de l’homme, un principe de liberté syndicale « négative » , défini comme le droit pour chaque salarié de ne pas se syndiquer.
Ségolène Royal propose ensuite d’augmenter le SMIC, tout en baissant le coût du travail. Elle estime que ce résultat peut être atteint grâce à une baisse des charges. Ignorerait-elle qu'il n'y a quasiment plus de charges patronales au niveau du SMIC?
Elle réclame "un statut fiscal très incitatif pour les investissements dans la recherche et l’innovation" mais s'en remet aussi au projet socialiste pour définir son programme. Elle oublie que le PS propose depuis longtemps de taxer davantage la valeur ajoutée, ce qui bénéficierait aux entreprises de main d'oeuvre, mais désavantagerait les entreprises à forte intensité capitalistique présentes dans les secteurs de pointe.
Elle reprend à son compte le slogan de Nicolas Sarkozy sur les 35 heures et entend permettre aux Français qui le veulent de travailler plus pour gagner plus. Ignorerait-elle que les salariés ne sont pas libres de définir, à leur guise, leur durée du travail et que les heures supplémentaires leur sont imposées (seules les heures choisies, instituées en 2005, peuvent, en théorie, être refusées par le salarié) ?
Elle est favorable, ensuite, à ce que l’Etat défende les entreprises françaises contre les prises de contrôle par des entreprises étrangères mais admet aussitôt qu'il y a de bons projets mis en oeuvre par la voie d'OPA. Elle veut également une « parole politique » forte contre les délocalisations mais condamne l'attitude du député Jean Lassale et les initiatives subséquentes des membres du Gouvernement. Au total, ses positions n’apparaissent pas vraiment plus claires.
Incidemment, Ségolène Royal reproche à Tony Blair de ne pas avoir réagi au moment où Peugeot a annoncé la fermeture d’une usine en Grande-Bretagne. En réalité, le Premier ministre britannique s’est bien exprimé sur le sujet. Et il a expliqué à ses concitoyens que, dans une économie de marché, on ne pouvait gagner à tous les coups, qu’il y avait nécessairement des pertes d’emplois de temps à autre, et que l’excellente situation du marché du travail en Grande-Bretagne permettrait aux salariés licenciés de retrouver rapidement un emploi.
Enfin, abordant les questions de société, elle prétend défendre les familles dans leur diversité, y compris les familles homoparentales, alors qu'elle affirmait, il y a quelques semaines encore dans le Parisien, qu' "une famille, c'est un père et une mère".
Au total, cet entretien confirme ce que les observateurs expérimentés de la vie politique savent bien : une candidature à l’élection présidentielle ne s’improvise pas et le laborieux travail de DSK (mais aussi MM. Fabius ou Lang) pour bâtir des réseaux d’experts, élaborer un projet, construire un positionnement politique, est bien le préalable indispensable à un éventuel succès dans les urnes.
Guillaume (SDJ 75)